Plusieurs travaux ont indiqué clairement que notre société occidentale considère une « vieillesse peu montrable » et qu’il convient par conséquent de la maintenir cachée à la vue du grand public. Ce sont ainsi des millions de personnes âgées qui sont ignorées particulièrement dans les discours sociaux et dans leur traduction par les médias. Les raisons sont à rechercher d’une part dans « la peur moderne et partagée de vieillir » et d’autre part, dialectiquement, dans la valorisation non moins partagée du « jeunisme », du fantasme de devoir impérativement rester jeune pour rester inclus dans la société. Nous sommes face à une idéologie prônant des valeurs individualistes et volontaristes pour des citoyens actifs et productifs au nom d’une sacro-sainte vision économique. Faisant de chacun d’entre nous avant tout des consommateurs acteurs de la croissance économique. Notre société valorise les logiques de l’action; elle augmente chaque jour ses exigences de performances et de rentabilité au regard des citoyens ; cette évolution vers le « toujours plus, toujours plus vite, toujours mieux, toujours moins couteux » s’oppose frontalement au ralentissement psychomoteur caractéristique du vieillissement. Il ne serait pas inopportun de considérer les personnes ayant vieilli comme des individus porteurs d’une forme de sagesse et de prise de recul liée justement à leur âge. Après la fin de leur période active, les personnes âgées pensionnées sont aussi des acteurs économiques de premier plan participant activement à la création de richesse de la nation. Mais cette vision de la vieillesse comme une richesse ne semble pas retenue dans notre société moderne. La survalorisation de l’action et de la performance aboutit à une inadaptation de la personne ayant avancé en âge aux exigences et aux contraintes de notre système de santé et de notre société. – Au niveau de notre société, finalement, le vieillissement de la population est parfois perçu comme « un problème ». L’accélération des avancées techniques devenues disponibles lors des dernières décennies impose une capacité d’adaptation croissante à ces changements. L’illustration la plus parlante est peut-être les bouleversements induits par le développement de l’électronique dans tous les objets d’utilisation courante, de la primauté de l’informatique et de ses applications dans la vie de tous les jours. Or, précisément la difficulté d’adaptation aux changements est une des caractéristiques très répandue du vieillissement … – Et, parce que notre société est marquée par une forte augmentation des personnes devenues « inactives » (les retraités), on aboutit à une véritable tension entre l’exigence sociale d’une adaptation de tout un chacun au monde moderne et, dans le même temps, d’une réduction progressive de la capacité d’adaptation d’une fraction croissante de la population. Ce paradoxe factuel devrait impérativement être pris en compte dans toute élaboration d’une politique de prise en charge des personnes âgées. – Or, le plus souvent, le même paradoxe conduit plutôt à la stigmatisation de la personne âgée au motif de cette difficulté à suivre et s’adapter au changement. A l’extrême c’est cet âgisme qui aboutit parfois à une mise à l’écart de son monde familier pour la personne concernée, à un isolement dans un lieu (souvent l’EHPAD) où sont concentrés volontairement « les sujets à problèmes » que sont devenus les personnes âgées. Dans un lieu presque toujours éloigné des regards (éventuellement coupables) de ceux qui ne sont pas encore vieux mais le deviendront inéluctablement.

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